UN TÉMOIGNAGE PEU COMMUN

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Le récit se rapporte à la famille S. composée du père, prénommé G., de la mère S., et de leur fille E..

Le père, d’origine italienne, est venu en France peu après la deuxième guerre mondiale pour travailler en Lorraine dans la sidérurgie comme conducteur de grue. Marié à S., d’origine italienne également, ils ont habité dans un premier temps à Longwy, puis ont acquis un pavillon situé à une dizaine de kilomètres de là, dans un petit village nommé Haucourt-Moulaine, où ils ont vécu jusqu’à leur placement dans un Etablisse­ment spécialisé en 2003, suite à la dégradation de leur santé nécessitant un accompagnement constant.

Le couple, jusqu’à la naissance de leur enfant, a joui d’une vie normale avec les soucis inhérents à la plupart des ménages. En 1953, la naissance de leur fille E. aurait dû apporter normalement la joie et la gaîté au sein de la famille, mais il en fut tout autre­ment. Lors de l’accouchement le bébé se présenta en détresse respiratoire. L’équipe médicale fit tout ce qui était possible pour ranimer l’enfant, et leurs efforts fu­rent couronnés de succès, mais des séquelles profon­des se manifestèrent peu à peu au cours du dévelop­pement de l’enfant. E. était atteinte de handicaps permanents irréversibles : atrophie des membres supé­rieurs et inférieurs et privation de la parole.

Profondément affectés par cette terrible réalité, les parents ne voulurent pas placer leur enfant dans une institution médicalisée. C’est autour de cette lourde charge qu’ils construisirent leur avenir. Ils firent tout pour le bien de leur enfant handicapée. D’importantes transformations furent réalisées dans le pavillon par le père pour permettre un déplacement plus aisé du brancard, jusqu’à installer un ascenseur reliant le sous-sol à l’étage afin de faciliter les sorties.

Au fil des années, E. se fit comprendre par des signes de la tête : de haut en bas pour dire OUI, et de gauche à droite pour NON, ainsi que par différentes mimiques pour exprimer son mécontentement ou en­core par une explosion bruyante de rire pour exprimer sa joie. Sa maman lui parlait de tout ce qui se passait à la maison et même des événements extérieurs. E. comprenait tout, tant la relation était forte entre elles. Le papa intervenait auprès d’elle dans toutes les manipulations nécessitant un effort physique.

Le couple était baptisé en Christ et tous deux étaient membres de l’Assemblée de Metz. S’il était plus facile au père de se libérer pour assister aux réunions le Dimanche à Metz, la mère restait le plus souvent auprès d’E..

Les années passèrent et le père, alors en retraite, put consacrer davantage de temps à sa fille et soula­ger ainsi le travail de la mère. Après quelques années la santé de G. se détériora au point de ne plus pou­voir se rendre en voiture à la réunion. C’est alors que le couple C. R. et J. décida de se rendre le Dimanche à leur domicile pour des Etudes Bibliques. E. assistait à ces réunions.

Cette situation dura jusqu’en 2003, lorsque les pa­rents tombèrent tous deux gravement malades. Le père était atteint de la maladie de Parkinson et la mère de celle d’Alzheimer. L’indépendance de la famille était sérieusement compromise. Toute la famille fut placée dans un Etablissement spécialisé à une dizaine de ki­lomètres de Haucourt. Ils se retrouvèrent, par chance, tous les trois dans le même Etablissement : les parents ensemble et E. dans une autre section spéciali­sée.

Si, depuis son entrée dans l’Etablissement en 2003, E. – alors âgée de 50 ans – a pu s’épanouir grâce aux activités adaptées à son handicap, il en a été tout autrement pour les parents. Au début de leur place­ment, des rencontres étaient organisées entre E. et ses parents, parfois rejoints par le couple C., le plus proche de l’Etablissement. Ce lien était bénéfique pour la famille. On peut ajouter à cela quelques visites ponctuelles de frères et sœurs se rendant aux confé­rences organisées dans la région à Vigy.

Cette situation a duré quatre à cinq ans, jusqu’au moment où la santé des parents s’est rapidement dé­gradée. La maladie de S. s’était tellement aggra­vée qu’elle ne reconnaissait plus les siens, et elle fut alors isolée. Dans le même temps, G. s’affaiblissait de jour en jour jusqu’au moment de son décès le 7 Fé­vrier 2009.

Maintenant, seul le contact avec E. était pos­sible mais difficile et surprenant. En effet, au cours des derniers mois précédant le décès de son père, le per­sonnel de l’Etablissement emmena certains patients, dont G. et E., assister à la Messe. G. n’était plus capable de réagir, mais ce n’était pas le cas d’E.. Lors d’un nouveau regroupement de pa­tients pour assister à la messe, E. manifesta son mécontentement auprès de l’assistant chargé de la conduire. Celui-ci fut surpris de sa réaction. C’est alors qu’il la questionna : « Tes parents et toi-même êtes-vous Catholiques ? » D’un mouvement de la tête elle lui fit comprendre que non. «  Etes-vous Protes­tants ? » : Non. « Témoins ?… » : Non. L’assistant em­barrassé ne savait plus quel mouvement évoquer. Il décida de faire des recherches sur Internet. Dans la liste apparut l’Association des Etudiants de la Bible, et, posant de nouveau la question à E., il eut confir­mation d’un mouvement de la tête. Dorénavant, elle n’assista plus à la messe.

Les enseignements inculqués par les parents sont restés gravés dans le cerveau d’E. et il est sur­prenant de constater que dans un corps si profondé­ment affligé physiquement le cerveau puisse réagir si lucidement.

L’événement suivant, lors du décès de son papa, nous démontre encore une fois la perspicacité d’E.. A l’annonce de la mort de son père par un assistant, craignant l’organisation d’une cérémonie re­ligieuse à l’Eglise Catholique, elle lui fit comprendre qu’il fallait prévenir immédiatement le frère Roger C.. C’est ce qu’il fit sans tarder, et c’est ainsi qu’il fut averti avant même d’en être informé par un respon­sable de l’administration.

Ceci permit au frère de se rendre rapidement sur place afin d’entreprendre les démarches quant aux fu­nérailles. La Directrice de l’Etablissement confrontée à une situation particulière qui ne s’était jamais présen­tée auparavant, exprima une certaine méfiance, qui fut dissipée par la suite.

Dans un premier temps, en accord avec le service des Pompes Funèbres, une allocution fut prévue dans un local de l’Etablissement, avant le transport du cer­cueil au cimetière d’Haucourt. Mais, cette démarche fut annulée. E. fit comprendre qu’elle désirait que l’allocution funéraire se fasse au cimetière, à Haucourt-Moulaine, village où elle avait vécu et était connue, et qu’elle souhaitait également être présente au cime­tière.

Les désirs d’E. furent satisfaits. Le rassem­blement eut lieu au cimetière d’Haucourt où se sont réunis d’une part, le personnel de l’Etablissement, la Directrice, et environ 15 personnes dont 4 handicapés sur des fauteuils roulants, y compris E., d’autre part, une quinzaine d’amis du village ainsi que qua­torze frères et sœurs en Christ. C’est dans ce cadre inhabituel, au pied du cercueil exposé au dessus de la fosse, devant les participants, face aux handicapés dont E. et en l’absence de sa maman, qu’une allocution funéraire fut prononcée avec une certaine émotion. On termina par le chant du cantique n°17 « Viens, âme qui pleure » et la « Prière du Seigneur » en commun.

Après la cérémonie, la Directrice de l’Etablissement invita les participants à se rendre dans l’Etablissement pour une collation. Huit frères et sœurs ont honoré cette invitation et ont partagé un goûter avec plusieurs handicapés autour d’une table. L’accueil parmi le per­sonnel et les handicapés était vraiment convivial. Après avoir visité quelques salles d’activités et la chambre d’E., agréablement décorée, nous avons pris congé auprès de la Directrice en la remerciant pour le travail exercé par son personnel auprès des handica­pés et particulièrement auprès d’E. dans cette circonstance douloureuse, ainsi que pour la coopéra­tion concernant les obsèques de G..

Il reste cependant un point noir, c’est l’état de santé dégradé de S., mais ce n’est pas en notre pouvoir d’y remédier. Heureusement, nous avons cette confiance et cette conviction en Notre Père Céleste et en Notre Seigneur Jésus-Christ que viendra le temps, à la résurrection, où tous les handicaps physiques et moraux disparaîtront pour laisser la place à une vie paisible et éternelle.