LES LARMES D’UN PROPHETE

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« Sur les bords des fleuves de Babylone, … nous pleurions, en nous souvenant de Sion. »

– Psaume 137 : 1 –

Les expériences de Jérémie furent suffisantes pour le rendre déprimé. Ce fut un prophète impopulaire avec un message impopulaire. Il fut rejeté, subit de l’opposition, on le jeta dans une citerne abandonnée, et il fut exilé en Égypte ; pourtant il persista à délivrer un message qui ne le réjouissait pas. Oui, Jérémie avait toutes les raisons d’être déprimé. Mais il avait un mes­sage difficile à dire, car il conseillait de ne pas résister à l’invasion Babylonienne imminente et d’accepter qu’elle était une punition de Dieu pour leurs péchés.

Le livre de Jérémie n’est pas seulement un mes­sage écrit prophétique ; il contient aussi l’autobiogra­phie de la vie du prophète. Le livre n’est pas entière­ment désespéré. C’est la narration classique de l’histoire du péché et de ses conséquences, entraînant des châtiments, le pardon gracieux, et pour finir le ré­tablissement avec ses récompenses. Pourtant, malgré le ton optimiste de l’essentiel de la dernière partie du livre, Jérémie est connu comme étant le prophète des malheurs.

Alors que la prophétie qui porte son nom comprend beaucoup de renseignements biographiques, c’est dans le livre des Lamentations qu’il livre son cœur et la profonde angoisse qu’il ressent au sujet de la captivité d’Israël. Ici les douleurs du prophète sont une inter­prétation des malheurs des Juifs et à travers eux, [elles expriment] la douleur de toute l’humanité.

LE LIVRE DES LAMENTATIONS

Le livre des Lamentations est l’un des plus longs et des meilleurs exemples de poésie hébraïque dans la Bible. En fait, de nombreux commentateurs estiment qu’il s’agit non pas d’un, mais de cinq poèmes distincts rassemblés par le même auteur (Jérémie).

Un journaliste fournit les documents des choses telles qu’elles sont. Un commentateur cherche à don­ner un sens à ces réalités. Un prophète prédit les cho­ses telles qu’elles seront. Mais il revient au poète de parler le langage du cœur. Comme l’exprime l’auteur de The Expositor’s Bible, « la poésie ne donne pas des réponses exactes à des questions posées, car la poé­sie n’est pas une science ; mais la poésie ouvre les oreilles d’un sourd et oint les yeux aveugles afin de recevoir la voix et les visions qui hantent les profon­deurs de l’expérience. »

On raconte l’histoire d’un jeune garçon qui, voyant un vieil homme assis et pleurant, alla s’asseoir à côté de lui pendant quelques minutes avant de retourner vers sa mère. Comme elle lui demandait ce qu’il faisait, il répondit : « Je l’ai simplement aidé à pleurer. » Voilà ce que Jérémie fait précisément dans le livre des La­mentations : il aide Israël à pleurer.

Le livre n’a pas une consonance philosophique. Il ne sonde pas la nature de la souffrance, ni ne répond à la question de savoir pourquoi Dieu permet le mal. Il laisse à d’autres de telles méditations théologiques, comme on en trouve dans le livre de Job. Dans les Lamentations, il fait preuve d’un cœur affligé qui s’identifie avec les autres portant un tel fardeau.

LA STRUCTURE DU LIVRE

Le livre des Lamentations est un poème acrosti­che(1). Chaque chapitre contient vingt-deux versets, sauf pour le chapitre du milieu, qui en a soixante-six. Chaque verset commence par une lettre successive de l’alphabet hébraïque ; le chapitre trois utilise consécuti­vement chaque lettre trois fois de suite, ce qui fait soixante-six versets. En hébreu la structure qui carac­térise la poésie ne consiste pas à faire une rime par ligne contenant un nombre égal de syllabes, mais à faire des couplets de pensées comparables. La seule exception se trouve dans le dernier chapitre qui rompt apparemment avec ce principe car il passe de vers en prose.

Il y a une leçon pour le chrétien dans cette structure formelle. Les gens qui subissent un grand stress et des moments de profonde douleur ont tendance à prendre la parole sous une forme quelque peu incohérente et avec des pensées désordonnées. Leur douleur inté­rieure est trop grande pour qu’ils puissent trouver l’apaisement. Contrairement à cela Jérémie prit le temps d’organiser son esprit troublé et d’écrire en des termes rationnels. Seuls ceux qui contrôlent leurs propres émotions et demandent l’aide uniquement par le moyen de la prière sincère peuvent faire de même.

Mais la structure du dernier chapitre se présente comme si Jérémie, dans sa douleur profonde, n’était plus en mesure de se contenir et il termine sa com­plainte simplement en vidant son cœur. Ô, comme nous pouvons tous effectivement nous identifier à lui dans nos moments de profonde tristesse et de dépres­sion !

Dans le texte original de la Bible en hébreu qui donne un nom aux livres en fonction du premier mot qu’ils contiennent, les lamentations s’appelaient à l’origine « Comment »(2). Non seulement ce mot est celui par lequel commence le livre, mais c’est aussi celui par lequel commencent les deux autres uniques chapitres acrostiches, le deuxième et le quatrième.

« Comment » est un mot approprié pour commen­cer ces paroles de malédiction. Prenons la différence entre les deux expressions anglaises que nous utili­sons pour exprimer la sympathie : « C’est triste » ou « Comme c’est triste ! » La dernière exprime une in­tensification du sentiment alors que la première est un simple constat.

LA MISE EN FORME

« Comment est-elle assise solitaire, la ville si peu­plée ! Celle qui était grande entre les nations est deve­nue comme veuve ; la princesse parmi les provinces est devenue tributaire. Elle pleure, elle pleure pendant la nuit, et ses larmes sont sur ses joues ; de tous ses amants, il n’en est pas un qui la console ; tous ses amis ont agi perfidement envers elle, ils sont pour elle des ennemis. » – Lamentations 1 : 1, 2 [Version Darby(3)]

Juste à l’extérieur de Jérusalem à la porte de Da­mas s’élève une colline avec une petite cavité qui lui donne une vague ressemblance à un crâne humain. Ce lieu a été largement identifié comme correspondant à Golgotha, le lieu de la crucifixion de Jésus. Cette ca­vité semblable à une grotte est populairement connue sous le nom de « la grotte de Jérémie ». Selon la tradi­tion habituelle c’est là que Jérémie composa le poème que nous appelons Lamentations. Bien qu’il n’y ait pas de preuves archéologiques solides pour étayer cette allégation, il n’y a aucune évidence quelconque de la contester.

De là, Jérémie devait avoir une excellente vue de sa bien-aimée Jérusalem, avec ses murs à créneaux, ses maisons regroupées et le magnifique temple se dressant dans le lointain érigé plus de quatre siècles auparavant par le roi Salomon. Oh combien profonde devait être la signification pour le prophète de voir que la prospère capitale de la Judée, qu’il ne connaissait que trop bien serait bientôt en ruines. Et quelle concordance avec le fait que, des siècles plus tard tout près de ce même endroit, le monde chrétien serait dans la tristesse pour la mort du Messie, pour sa souf­france, mais dans le même temps, se réjouirait du sa­lut obtenu au prix de sa mort.

LA CAUSE DE LA PUNITION D’ISRAËL

« Ses adversaires dominent, ses ennemis prospè­rent ; car l’Eternel l’a affligée à cause de la multitude de ses transgressions ; ses petits enfants ont marché captifs devant l’adversaire. » – Lamentations 1 : 5 [ver­sion Darby].

Dans le premier chapitre Jérémie reconnaît que les tribulations sont justifiées en raison des multiples pé­chés d’Israël. Les ennemis de Jérusalem ne pouvaient rien contre elle sans la permission de l’Eternel. C’est pourquoi le Prophète attribue à juste titre la cause de la défaite imminente, non pas à la puissance écrasante des troupes de Babylone, mais à Jéhovah qui envoie le châtiment sur son peuple. C’est ce qu’il réitère dans les versets 8, 9, 14, 17, 18 et 20.

Il en est de même pour les chrétiens : ce n’est pas tellement à cause des difficultés dans lesquelles ils se trouvent qu’ils se sentent déprimés, mais plutôt en ré­alisant qu’ils sont responsables de leurs propres tribu­lations. C’est à ce stade des lamentations, que Jérémie se sent au plus bas.

LA TOTALITE DE LA DESOLATION

Dans le chapitre suivant, Jérémie déplore que la désolation soit totale. Il dit que Sion est précipitée du ciel sur la terre (verset 1) ; le verset 6 amplifie : il parle de la destruction du Temple qui est comparée à l’abattage d’une haie de jardin, et des fêtes solennelles et du sabbat qui sont oubliés (même verset 6) ; au ver­set 7 il dit que l’autel est rejeté ; au verset 9 que la Loi n’est plus et que le prophète est supprimé, et (au ver­set 15) que Jérusalem est méprisée par toutes les na­tions.

Le contraste qu’eut Jérémie entre la gloire de la Jé­rusalem du passé et la vision du futur ne pouvait pas être plus frappant. En se souvenant des jours passés il eut l’impression d’une amertume beaucoup plus âcre face à ce qui devait arriver. Cela n’est pas sans rap­peler le désespoir de la Reine Esther quand, appelée par Mardochée pour intercéder auprès du roi en faveur d’Israël, elle déplora le fait qu’Assuérus ne l’avait pas conviée depuis trente jours. – Esther 4 : 11.

De même, quand les chrétiens se rappellent leur proximité passée avec leur Seigneur, ils ressentent les angoisses de la désaffection elle-même provoquée par leurs propres manquements ; ainsi, ils sont double­ment déprimés par ces souvenirs perdus.

Mais, comme le montra la bonne reine, il faut ras­sembler son courage et prendre les dispositions ap­propriées pour la prière. Bien qu’elle eût fait preuve d’hésitation, Esther mit ses vêtements royaux pour im­pressionner le roi, et elle se présenta humblement dans la cour intérieure de la maison du roi. Et cela ne fut pas de mauvais augure pour son Seigneur, comme elle l’avait craint.

Jérémie prévit l’atrocité de la guerre dans sa la­mentation sur le sort de Jérusalem. Il décrit la férocité de la faim des enfants : « Ceux qui périssent par l’épée sont plus heureux que ceux qui périssent par la faim, qui tombent exténués, privés du fruit des champs. » (Lamentations 4 : 9). Le verset 10 décrit le désespoir qui pousse les mères à manger leurs propres enfants. L’esclavage a été leur sort (5 : 5, 13). Les femmes ont été déshonorées (5 : 11). Le prophète conclut son élé­gie d’affliction en disant : « Nous aurais-tu entièrement rejetés, et t’irriterais-tu contre nous jusqu’à l’excès ! » (Lamentations 5 : 22). Il n’est guère étonnant que Jé­rémie fut déprimé et en larmes compte tenu de l’imminence de telles tragédies.

UN ESPOIR PERDU RESTAURE

« Et j’ai dit : Ma force est perdue, Je n’ai plus d’es­pérance en l’Eternel ! Quand je pense à ma détresse et à ma misère, à l’absinthe et au poison ; Quand mon âme s’en souvient, elle est abattue au dedans de moi. Voici ce que je veux repasser en mon cœur, ce qui me donnera de l’espérance. » – Lamentations 3 : 18-21.

C’est dans le chapitre du milieu des Lamentations que nous trouvons un verset favori dans ce livre. Le prophète a trouvé l’espoir au moment où il s’est trouvé dans le besoin ; il en est de même pour les chrétiens quand ils passent dans des périodes de décourage­ment et de dépression. Le précurseur de cette espé­rance réside dans le fait que les épreuves qui atten­dent le prophète l’ont humilié, et non pas aigri. Voici de belles paroles de réconfort : « Les bontés de l’Eternel ne sont pas épuisées, ses compassions ne sont pas à leur terme ; Elles se renouvellent chaque matin. Oh ! Que ta fidélité est grande ! L’Eternel est mon partage, dit mon âme ; c’est pourquoi je veux espérer en lui. L’Eternel a de la bonté pour qui espère en lui, pour l’âme qui le cherche. Il est bon d’attendre en silence le secours de l’Eternel. » – Lamentations 3 : 22-26.

Peu importe la gravité d’une situation, cela pourrait être pire. Le plus dur châtiment est meilleur que la perte de tout. Jérémie renvoie Israël aux promesses compatissantes du Tout-Puissant. Comme l’écrivit le psalmiste : « Tu sais quand je m’assieds et quand je me lève, tu pénètres de loin ma pensée. » – Psaume 139 : 2.

Plutôt que de déplorer ce qui nous a été retiré, ré­jouissons-nous de ce qui nous reste. Telle fut l’espé­rance du prophète, et telle est l’espérance du chrétien. Mais le père de l’espérance, c’est la patience, non pas seulement la simple patience, mais une attente calme et sans plainte du soulagement du châtiment. Comme l’écrit l’Apôtre : « Il est vrai que tout châtiment semble d’abord un sujet de tristesse, et non de joie ; mais il produit plus tard pour ceux qui ont été ainsi exercés un fruit paisible de justice. » – Hébreux 12 : 11.

LE CHATIMENT EST BON POUR LES JEUNES

« Il est bon pour l’homme de porter le joug dans sa jeunesse. Il se tiendra solitaire et silencieux, parce que l’Eternel le lui impose ; Il mettra sa bouche dans la poussière, sans perdre toute espérance ; Il présentera la joue à celui qui le frappe, il se rassasiera d’oppro­bres. » – Lamentations 3 : 27-30.

Jérémie s’adressa probablement particulièrement aux jeunes car ils étaient parmi les plus zélés pour s’opposer aux envahisseurs. Ses conseils sont néanmoins valables pour tous les jeunes(4). Plus nous apprenons tôt à nous exercer à la discipline et à intégrer en nous ses leçons, plus facile sera toute la durée de notre vie. Comme l’ecclésiaste l’a dit : « Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre ; Et quand il sera vieux, il ne s’en détournera pas. » – Pro­verbes 22 : 6.

Jérémie s’exprime d’une manière tellement forte qu’il suggère même à ses contemporains que si, au final, cela pouvait donner un espoir de réconciliation, alors, qu’ils mangent de la poussière et, pour ainsi dire, qu’ils acceptent le bâton de celui qui frappe(5). Ils ne prirent pas en considération son message prin­cipalement parce que Jérémie conseillait d’être prêt à accepter immédiatement que Jérusalem fût punie à cause de ses péchés par les mains de l’armée d’in­vasion de Nébucadnetsar.

CORRIGER, NON PAS PUNIR

« Car le Seigneur ne rejette pas à toujours. Mais, lorsqu’il afflige, Il a compassion selon sa grande mi­séricorde ; Car ce n’est pas volontiers qu’il humilie et qu’il afflige les enfants des hommes. Quand on foule aux pieds tous les captifs du pays, quand on viole la justice humaine à la face du Très-Haut, quand on fait tort à autrui dans sa cause, le Seigneur ne le voit-il pas ? » – Lamentations 3 : 31-36.

Jérémie conclut son monologue d’espoir en ex­primant son entière confiance que les châtiments du Seigneur sont temporaires, qu’ils ont été conçus comme des mesures correctives plus que pour des fins punitives.

Dieu ne désire pas, et n’a d’ailleurs jamais désiré écraser l’homme ni s’opposer à ce qu’il ait le droit de recourir à la prière. Dieu est entièrement juste, et sa justice est tempérée par la miséricorde. Ainsi, dans le plus profond de nos épreuves, nous pouvons dire, « Je ne murmurerai ni ne m’affligerai, car la foi peut fermement se reposer sur lui, quoi qu’il advienne. »

Fr. C. H. (Herald Juillet/Août 2007)

Notes :

(1) Un acrostiche du grec akrostikhos (“haut, élevé” et stichos, le vers), est un poème fondé sur une figure de style consistant en ce que les initiales de chaque vers, lues verticalement de haut en bas, composent un mot ou une expression se rapportant au sujet du poème. (Source : WIKIPEDIA)-Note du traducteur-

(2) En anglais le chapitre commence par « How », mot uti­lisé dans la majeure partie des traductions anglaises qui signifie « Comment », conjonction utilisée dans la version Darby ; la version Segond commence par « Eh quoi ! » –NDT –

(3) Voir note précédente –NDT–

(4) Voir chapitre 3 verset 27 –NDT–

(5) Voir chapitre 3 versets 29 à 32 –NDT–