Le jeûne de Carême. 1908

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Alors les disciples de Jean vinrent a Jésus en disant : Pourquoi nous et les pharisiens jeûnons-nous souvent, tandis que tes disciples ne jeûnent pas? Et Jésus leur dit: Les fils, de la chambre nuptiale peuvent-ils être dans le deuil pendant que l’époux est avec eux ? Mais les jours viendront ou l’époux leur aura été enlevé, et alors ils jeûneront ”’ (Laus.) Math. IX, 14. 15.

Le temps nommé carême, ou les 46 jours de jeûne et d’abstinence entre le mardi gras et le jour de Pâques, est beaucoup observé dans le monde civilisé, parmi plusieurs grandes dénominations chrétiennes. Il ne nous appartient pas de donner tort aux observances religieuses de tout chrétien ou païen.

La conscience de tout homme doit être son guide et chacun doit chercher à éclairer sa conscience par les enseignements de la parole divine selon l’étendue de ses capacités. Nous ne venons pas ici recommander l’observance du carême, ou la condamner. Nous avons la franchise de déclarer que si cette observance est pour plusieurs une simple formalité, ou, ce qui est plus, une pure hypocrisie [comme dans beaucoup d’endroits en Europe] mieux vaut évidemment ne pas jeûner. Pour d’autres, cependant, qui l’observent avec un véritable esprit de dévotion envers le Seigneur, elle procure probable­ment à leurs cœurs des fruits de justice; elle est en même temps physiquement d’un excellent effet, tombant au moment d’un changement de saison, où il est très bon pour presque tous de choisir une nourriture végétarienne. L’observance du carême a une origine ancienne. Originairement, il y eut de nombreuses discussions sur le nombre de semaines et le nombre de jours dans chaque semaine pendant lesquels on devait observer le jeûne. Les quarante jours de jeûne de notre Seigneur semblent avoir tranché la question. Beaucoup, fai­sant une exception pour les dimanches, réduisirent le nombre des jours à 36, considérés comme étant une dîme ou le dixième de l’année. Il est évident que des cœurs bons et loyaux cru­rent bien faire en adoptant cette coutume; mais la où est l’erreur, comme d’ailleurs en beaucoup d’autres cas, c’est dans l’effort entrepris d’appliquer indistinctement aux paroisses, aux diocèses, aux états et à des centaines de millions de gens, des principes et des pratiques qu’une simple poignée d’entre eux purent seuls apprécier et observer.

La chrétienté nominale en bloc a simplement la forme de la piété, tandis que par ses paroles et ses actes quotidiens elle dévie de tout l’enseignement chrétien, étant absolument gâtée par les jeûnes pharisaïques et les prières qui, ne venant pas du cœur, sont en abomination à l’Eternel au lieu de lui être en bonne odeur. Quoique cet argument s’oppose à l’ob­servance du temps de carême de l’Eglise chrétienne nominale, elle n’attaque et ne critique en aucun sens la justesse de son observance pour ceux qui ont le cœur pur.

Du Jeûne en général.

Mais, élevons nos regards et examinons la question du jeûne à un point de vue plus large. Tous ceux qui lisent la Bible savent qu’Elie jeûna pendant 40 jours, que le prophète Daniel jeûna en plusieurs occasions. Il nous dit qu’une fois, pen­dant sept semaines entières, il ne prit aucune nourriture agré­able. Notre Seigneur, aussi, nous nous en souvenons, jeûna entièrement pendant 40 jours et il est question dans l’ancien et dans le nouveau Testament de plusieurs autres jeûnes moindres. Examinons à quelles occasions, ces jeûnes furent proposés et sous quels prétextes. Ils sont de deux ordres.

(1) Quelques uns étaient des manifestations de repentir, contrition de péchés et désirs d’une nouvelle alliance avec le Seigneur. Ainsi nous dit le roi David : “J’humiliais mon âme par le jeûne.” Ps. :35 : 13.

(2) Les jeûnes étaient accomplis en vue d’amener le cœur à une communion plus intime avec le Seigneur, dans le désir de connaître et de faire sa volonté et sans rapport avec au­cune lamentation pour les péchés. Par exemple, le jeûne de notre Seigneur avait ce but. Aussitôt qu’il eut fait sa consé­cration et l’eut symbolisée par le baptême, quand il fut sur le point de commencer son ministère, sous la complète in­fluence du St. Esprit, il s’en alla dans un lieu écarté pour jeûner et apprendre à connaître la volonté divine afin de l’ap­pliquer à son ministère. Et Daniel, avant eu une révélation de l’Eternel, qu’il ne comprit d’ailleurs qu’en partie, jeûna et pria dans le but de se rapprocher de Dieu, de recevoir une connaissance spéciale de la signification de sa mission, comme faveur particulière.

La véritable portée du jeûne.

Le jeûne, comme le baptême, peut être une simple forma­lité, plutôt nuisible que bienfaisante; ou bien, il peut être observé avec profit spirituel. De même qu’un homme peut s’enfoncer de cinq brasses dans l’Océan sans pour cela être baptisé, il peut volontairement mourir d’inanition sans avoir jeûné selon l’esprit divin. Une personne honnête, par exemple, ne peut avoir la moindre sympathie pour l’homme qui en carême affectait l’observance extérieure de privation disant ne prendre qu’une tasse de café tandis qu’il s’en préparait bien un bol, contenant réellement deux tasses! Et ceci est une illustration d’une foule de formalités pieuses qui sont obser­vées extérieurement tandis que le cœur est bien loin de l’at­titude convenable aux veux du Seigneur.

Nous pouvons conclure en toute vérité que toute absten­tion de désirs et de convoitise de la chair est un jeûne réel — et le plus approuvé du Seigneur. L’apôtre explique que ces désirs charnels font la guerre à l’âme, à l’esprit naissant, à la nouvelle créature cherchant à marcher sur les pas du Seigneur dans le sentier étroit.

Celui qui rejette toute gourmandise, ivrognerie, convoitises ou penchants pour les plaisirs mondains, soit innocents, soit coupables, s’il fait cela avec le désir de glorifier Dieu et de faire avancer son esprit renouvelé dans le chemin spirituel, doit sûrement avoir l’approbation de Dieu et ses actes con­tribuent aussi bien à l’élévation de la nouvelle créature, qu’à l’assujettissement de la vieille nature.

Ceci, est le jeûne réel, le jeûne important, le jeûne essen­tiel, sans lequel nul ne peut espérer entrer dans le glorieux règne en lequel nous espérons, et pour l’avènement duquel règne de justice nous prions: “Ton Règne vienne, ta volonté soit faite sur la terre, comme au ciel.” Les formalités extérieures, les jeûnes, les prières à genoux, le baptême dans l’eau, etc. . . donnés en exemple par les apôtres, sont des modèles aussi bien que des figures de la chose spirituelle qu’ils représentent; mais quiconque ne voit et n’apprécie pas plus loin que les formes extérieures, n’affermira jamais sa vocation et son élection aux réalités glorieuses que Dieu a préparées pour l’Eglise élue de l’âge de l’Evangile. Il jouira, en

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vérité, de quelques-unes des bénédictions et faveurs divines qui attendent le monde en général pendant l’âge à venir, mais il manquera l’appel céleste, le haut appel de cet âge-ci. C’est pour cette raison que notre Seigneur renvoyait continuelle­ment aux véritables jeûnes, aux vrais sacrifices, mais ne com­mandait jamais le jeûne extérieur.

Notre Seigneur condamna fréquemment l’hypocrisie des pharisiens en ce qu’ils se négligeaient, se donnant un air abattu afin que les hommes pussent voir qu’ils souffraient de jeûnes rigoureux et qu’ainsi on les crût très religieux. -— Il condamna les prières faites sur les places publiques, afin d’être entendus des hommes, toujours dans la même intention. Cela provoqua les censures constantes de notre Seigneur: “Malheur a vous scribes et pharisiens hypocrites qui faites de longues prières” et donnez à vos visages un air défait afin de montrer aux hommes que vous jeûnez et que vous êtes religieux —vous avez votre récompense! Vous ne cherchez pas la miséri­corde de la faveur divine et une plus intime communion avec l’Eternel: mais vous cherchez l’approbation des hommes, vous obtenez l’admiration des ignorants et des crédules; ne vous attendez à aucune récompense de Dieu pour vos jeûnes, car ils ne sont pas faits pour lui plaire. Leur conseillant une conduite toute contraire, notre Seigneur exhorta ses disciples quand ils prieraient de le faire en secret; leurs prières étant faites pour être entendues de Dieu, mais que dans une as­semblée publique de son peuple ils devaient prier de façon que les autres l’entendent et puissent joindre leurs cœurs dans une même requête. Il leur dit encore que leurs jeûnes devaient être connus du Seigneur seul et non des hommes. Ses paroles sont: “Quand vous jeûnez, ne prenez pas, comme les hypocrites, un air accablé ; ils se font des visages tout défaits, afin que leur jeûne attire les regards. En vérité, je vous le dis: ils ont reçu leur récompense! Toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, afin que les hommes ne s’aperçoivent pas que tu jeunes; mais seulement ton Père qui est là, dans le secret, et ton Père qui voit dans le secret te donnera ce qui t’es dû.” — Math. 6 : 16—18.

« Ils jeûneront alors.”

Notre texte montre clairement que Jésus ne commanda pas a ses disciples de jeûner. Ce fait fut remarqué des disciples de Jean-Baptiste dont quelques-uns vinrent vers Jésus et de­vinrent ses disciples. Les paroles de notre Seigneur ont une grande importance quand nous nous souvenons qu’il était l’Epoux présent et la joie de ceux qui ainsi le reconnaissaient pour le Messie. Leurs cœurs devaient être si remplis de joie, de reconnaissance et de louanges que toute chose ressemblant au deuil et à la tristesse en devait être bannie. Comme notre Seigneur le remarque, comment pouvaient-ils pleurer, manifester quelque tristesse, ou souhaiter quoi que ce fût, pendant qu’il était avec eux, lui, la source de tout bien, le centre de toute espérance, la joie de tout cœur?

Pourquoi auraient-ils jeûné? Leurs péchés avaient été par­donnés, ils avaient été acceptés du Seigneur comme ses dis­ciples, et il leur avait appris à regarder au Tout-Puissant et à lui dire: “ Notre Père qui es aux Cieux.” En Jésus, leur Seigneur, présent avec eux, ils avaient toute sagesse et tout ce qu’ils avaient besoin; il était le guide de leurs affaires, leur instructeur pour toute bonne parole et leur initiateur pour tout bon travail. Ce furent ceux qui ne reconnurent pas le Seigneur et sa présence qui pouvaient jeûner et avoir faim et soif du pain et de l’eau de la vie qu’ils n’avaient pas en­core reçue et de laquelle ils n’avaient pas encore eu connais­sance. Ces Israélites d’une intelligence plus avancée qui avaient trouvé Jésus et avaient reconnu en lui le Messie virent tous leurs désirs exaucés; ils n’eurent donc pas besoin de jeûner.

Les paroles de notre Seigneur étaient une prophétie se rap­portant a l’époque à laquelle son ministère dans la chair serait fini, après que sa résurrection et son ascension vers son Père seraient accomplies. En ces jours-là, à travers l’âge de l’Evangile, ses disciples trouveraient en vérité bien des moments où leurs cœurs imploreraient l’aide divine, dans lesquels ils chercheraient la sagesse divine, et en ces jours ils auraient bien des occasions de jeûner à cause de l’absence de l’Epoux et parce que, selon sa tendre promesse, ils devaient s’attendre a son retour, le désirer et s’efforcer de lui être fidèles pour qu’il les approuve alors et puisse leur dire: “C’est bien, entre dans la joie de ton Seigneur.” Oui, à travers tout l’âge de l’Evangile les disciples du Seigneur connurent le jeûne du renoncement, eurent faim et soif de justice, luttèrent contre les amorces du monde, de la chair et de l’adversaire, qui les tentaient, qui s’efforçaient de les leurrer, de les arracher à leur fidélité au Seigneur et à ses recommandations d’abnégation, selon son propre exemple.

Le jeûne mène au festin.

Les paroles de notre Seigneur, annonçant que l’absence de l’Epoux serait une occasion de jeûne, indiquaient qu’après son retour le jeûne, cesserait et le grand festin de joie an­noncé serait enfin servi. Si la présence de notre Seigneur, à la fin de l’âge judaïque comme l’époux typique — s’annon­çant lui-même au peuple typique invite à devenir l’épouse —fut un temps de réjouissance, combien plus son second avènement comme Epoux, comme Roi de gloire, suggére-t-il des pensées de fête plutôt que de jeûne.

Pendant plus de 18 siècles nous avons eu l’accomplissement des paroles du Seigneur: “En ces jours ils jeûneront.” Les siècles de ténèbres suivirent rapidement la mort des Apôtres. Les doctrines laissées par le Seigneur et ses apôtres devinrent confuses et se corrompirent par les traditions et les philo­sophies des hommes. La nourriture convenable pour la famille de la foi devint ainsi de moins en moins nourrissante et for­tifiante; elle obligea au jeûne prédit par les Ecritures et aboutit à une Véritable famine “pour entendre les paroles de l’Eternel” (Amos 8 : 12). En revanche, aussi, notre Seigneur déclara que lors de son second avènement, il enverra à son peuple, “à la vraie famille de Dieu ” une abondance de nour­riture spirituelle et rafraîchissante. Il déclara: “Bienheureux ces serviteurs que le Maître, à son arrivée, trouvera veillant! En vérité, je vous dis qu’il se ceindra, qu’il les fera mettre à table et, s’avançant, il les servira.” (D. & Oltr.) — Luc 12: 37.

Cette joie est maintenant notre, chers frères et lecteurs du Phare. Soyons comme des “scribes devenus disciples en vue du royaume des cieux, semblables à un maître de maison qui tire de son trésor [la Parole divine] des choses nouvelles et des choses anciennes”, de la nourriture au temps qu’il faut pour la famille de la foi. — Matth. 18 : 52.